L'art otage de l'ego


By Art by Maarika
N'ayons pas peur de l’évidence en rappelant que l'homme est artiste depuis la nuit des temps ! Bien avant l'époque des grottes de Lascaux, l'art rupestre s'étend sur 170.000 sites sur des zones équivalentes à 160 pays (1).
C'est dire si, à l'échelle de l'humanité et de sa population de l'époque, l'affaire est entendue : l'art est (et restera) omniprésent.

Depuis le fin fond des âges, nous avons utilisé l'expression des formes, des couleurs et des sons pour traduire l'univers qui nous entoure, de ses aspects les plus bruts aux plus sensibles et nos liens avec cet univers. Cette expression, lorsqu'elle est harmonieusement transcrite, nous fait vibrer, secoue et interpelle l'âme, bref, place notre esprit au diapason de l'univers.

Platon, premier à exprimer formellement une pensée sur la musique, posait déjà les choses il y a quelques millénaires (2) :

La musique est une loi morale, 
elle donne une âme à nos cœurs,
des ailes à la pensée,
un essor à l'imagination.
Elle est un charme à la tristesse,
à la gaieté, à la vie, à toute chose.
Elle est l'essence du temps et s'élève à tout ce qui est de forme invisible,
mais cependant éblouissant et passionnément éternelle…. 

Nul doute que l'on peut étendre ces mots à toute forme d'art.
En théorie.
Car en pratique l'art au fil du temps s'est laissé prendre dans un filet en devenant esclave de l'ego (3). Il s'est laissé enchaîner dans la prison du narcissisme, une prison à plusieurs étages.

L’ego 

Étage 1 L'ego de l'artiste 


Au début, souvent l'artiste crée parce qu'il est comme interpellé par l'envie irrépressible et diffuse de créer. Puis, pour peu que ses premières créations trouvent un bon accueil chez ses concitoyens, il continue en espérant "pouvoir en vivre". C'est alors qu'il entre dans l'engrenage de la "vente" d'art et des perversions du marché. Parce que, selon les règles établies de ce marché, pour vendre, il faut être connu. Connu et apprécié. Dans l'art contemporain il est même inutile d'être apprécié. Être connu suffit. (Voir le billet Qu'est-ce que l'art contemporain ?).

Pour être connu, il faut se faire connaître. Et tout est fait pour que l'artiste soit mis en avant plutôt que l'œuvre. Le fait que la nécessité ou non du fameux "statement" (4) de l'artiste génère des débats tellement enflammés entre les artistes et avec les galeries montre à quel point la nécessité de mettre l'artiste (et non ses créations) au centre du marché est vital pour ce même marché.

Alors si tu lis ces mots, ami artiste, prends le temps de réfléchir à ce qui te pousse à créer. As-tu besoin de reconnaissance ? As-tu quelque chose à te prouver à toi-même ? Trouves-tu dans l'art un moyen d'expression de tes névroses ? L'art est-il pour toi une sorte de drogue qui vise à apaiser tes angoisses ? Est-il une machine à satisfaire ton sens de l'esthétique ? Bref, emprisonnes-tu l'art par ton ego ?
Ou éprouves-tu juste un besoin de créer sans trop savoir précisément pourquoi ? Pour le plaisir de créer, peut-être ?

Étage 2 L'ego des galeries


Des galeries d'art françaises qui ne prennent même pas la peine de répondre aux envois de portfolios des artistes "non reconnus" -du marché - (sic) à ce directeur de galerie d'art Brésilienne qui se plaint du côté provincial de la place de l'art brésilien par rapport à celle de Londres…  L'ego est définitivement roi dans le monde des galeries d'art de ce début du XXIe siècle. D'ailleurs la tendance lourde des vanity galleries qui font fureur dans la zone anglo-saxonne est là pour le rappeler. Il n'y a pas encore de traduction française pour les vanity galleries (on pourrait dire "galeries de vanité"), mais même les expositions parisiennes ont compris à quel point elles pouvaient tirer leur épingle du jeu en "sélectionnant" des artistes qui gagneront le droit (...?) d'exposer lors de l'événement, c'est-à-dire de venir faire le guignol sur un stand pendant 3 jours en payant un droit d'entrée de plus de 1000€ et en prenant en charge toute la logistique de l’opération.

Étage 3 l'ego du marché de l'art


C'est à l'étage du marché de l'art, comme nous l'avons déjà vu (voir les billets Différence entre le monde de l'art et le marché de l'art et Qu'est-ce que l'art contemporain ?) que nous trouvons les signaux les plus emblématiques de cet état de l'art. En imposant des pratiques perverses, le marché de l'art contemporain pousse à son paroxysme la domination de l'ego sur l'art. Des galeries d'art qui font elles-mêmes monter les enchères de leurs "poulains" lors des ventes aux enchères en est un exemple. Le fait que les procès et autres enquêtes des brigades financières soient aussi nombreux en est un autre exemple. Le fait, enfin, que le marché de l'art soit devenu à un certain niveau purement spéculatif en est l'émanation la plus évidente.

En bref, c'est assez simple. À tous les étages, il suffit de voir qui est mis en avant dans les expositions : l'œuvre ou l’artiste ? Qui est coté sur le marché : l'œuvre ou l'artiste ? Qu'est-ce qui fait le prix d'une œuvre : la cote de l'artiste ou l'œuvre elle-même ? Etc.

Mais au final, en quoi le fait que l'art reste dans les filets de l'ego est-il délétère ? 

Parce que ça pose un problème à plusieurs dimensions.

1) L'ego prime dans les œuvres produites (à profusion), au point que submergés par la pléthore d’informations, on ne distingue plus le subtil du brut ou l'art reflétant la névrose de celui traduisant une harmonie inspirée.

2) Cela pervertit le marché de l'art et alimente à la fois les dérives de l'art contemporain et celles  de l'art en général (6).

3) L'énergie projetée par ces objets produits de l'ego n’a qu’un piètre intérêt et nous éloigne d’une connexion bien plus écologique d’un art tout court : « L’art est une activité humaine, le produit de cette activité, ou l’idée que l’on s’en fait s’adressant délibérément aux sens, aux émotions, à l’intellect et aux intuitions. On peut dire que l’art est le propre de l’homme, et que cette activité n’a pas de fonction clairement définie. »  (Définition Wikipedia).

C’est pourquoi il est grand temps de lancer des impulsions vers un mouvement de libération de l’art. Libération de l’ego, libération du joug d’un marché sans âme (spéculatif). Impulser ce mouvement, c’est impulser une vague de fraîcheur sur la créativité, mettre en lumière les innombrables sources de créations méconnues à travers la planète, faire vivre un art qui participe en toute simplicité à la grande symphonie de l'Univers.


(1) Aux origines de l'art, 50000 ans d'art préhistorique et tribal. Emmanuel Anati.
(2) Platon, dans La République vers 400 av. JC.
(3) Après avoir été pendant des siècles celui des dogmes religieux.
(4) le statement de l'artiste est un peu son credo, son verbatim, il doit exprimer (si possible longuement -des fois que l'artiste n'ait pas assez réfléchi à son art !-) ce qu'il veut traduire par ses créations, l'essence de son travail (ben voyons), le sérieux de son approche.
(5) voir le livre Les stars de l'art contemporain, Alain Quemin, CNRS Editions.
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Les 3 questions essentielles à poser avant d’acheter une œuvre d’art


Que lon soit acheteur dart averti ou néophyte, la pléthore doffres d’œuvres dart est telle, aujourdhui, quil est impossible dacheter en conscience (que ce soit au niveau du prix ou du sens donné à une œuvre dart) sans poser quelques questions clés au vendeur, c'est-à-dire, dans la plupart des cas, à la galerie.

Quelles questions poser à la galeriste (ou au galeriste) avant de se décider. 

1/ Pouvez-vous men dire plus sur cette œuvre d'art ? 

La question na pas tant pour objet den connaitre plus sur l’œuvre ou sur lartiste que de vérifier lapproche de la galerie sur la vente dune œuvre dart. Est-ce pour elle un simple business ? A-t-elle un fort background dans le monde de lart ? Si oui, est-ce plutôt par une intervention dans le marché de lart (position souvent traduite par « avoir pignon sur rue » et son corrélat « œuvres chères ») ou la galerie est-elle plutôt actrice dans le monde artistique, par des happenings ou une recherche de sens, par exemple ?

Pourquoi cette question est-elle essentielle ?  

Parce qu'elle va vous indiquer de degré de fiabilité de la galerie, sa manière de suivre et d'accompagner l’œuvre ou l'artiste, sa conscience professionnelle et sa connaissance du sujet.

2/ Pouvez-vous men dire plus sur cet artiste ? 

Cette question, à poser, avant un achat d’œuvre d'art même si vous connaissez bien lartiste en question, a également pour fonction dexplorer la position et lattitude de la galerie vis-à-vis de lartiste en question.

Pourquoi cette question est-elle essentielle ?

Parce qu'elle va vous permettre de percevoir si la galerie a une position et une attitude éthique vis à vis de l'artiste. Malheureusement, les nombreuses plaintes des artistes concernant l'attitude des galeries à leur endroit montrent que toutes n'ont pas une approche totalement éthique de la représentation d'un artiste.

3/ Pourquoi ce prix ? 

Cest THE question qui va vous permettre 1) de savoir si une négociation peut être ouverte 2) Si vous payez cette œuvre le prix juste ou si sont inclus dans le prix pléthore de frais qui viennent sagréger au coût de création de l'œuvre elle-même, dans le cas dune galerie internationale, par exemple qui dépense un très fort budget en promotion... Auquel cas vous prenez le risque d'acheter l’œuvre à un prix supérieur à sa valeur réelle perçue par le marché.

Comme on peut le constater, ces trois simples questions sont des questions ouvertes, car lidée est de parvenir à sérier le contexte dans lequel est vendue cette œuvre et donc, si vous payez le juste prix, ou si vous faites lacquisition dune œuvre à un prix totalement surévalué. Ces questions sont devenues particulièrement importante aujourdhui pour lacheteur dart avisé (ou néophyte) car le marché de lart s’étant totalement démocratisé mais étant toujours tenu dune main de fer par un marchéqui s’auto entretient, les prix ont tendance à suivre des voies un peu holé holé.

Si vous souhaitez former un peu plus votre approche en tant quacheteur dart et aiguiser à la fois votre œil et votre démarche, inscrivez-vous à la newsletter et n'oubliez pas de suivre les posts de la rubrique Marché de l'art.


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La valeur et le prix des oeuvres d'art

Etablir la valeur d'une oeuvre d'art est un casse-tête cornélien dans la mesure où l'art est par essence un univers subjectif, dont l'ambition initiale est à mille (lieux) lieues du commerce. C'est sans compter l'art et la créativité qu'a l'humain pour valoriser l'inestimable et vendre l'invendable.

Cette table ronde d'une cinquantaine de minutes fait un tour d'horizon de cette capacité et livre quelques clés essentielles pour comprendre les rouages du marché de l'art.





Voir aussi les posts Comment s'établit le prix de l'art ; Hic et Art ; et tous les articles de la rubrique Marché de l'art.
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Art contemporain, l'anthropocentrisme remis au (mauvais) goût du jour.

Sorti des presses en février 2016, le livre La valeur de l'art contemporain pose la question de la valeur des œuvres de ce courant artistique. Ce petit essai court, perspicace et brillant fait partie des "must read" (à lire absolument) actuels pour qui veut aiguiser son regard sur l'art contemporain et en comprendre les rouages profonds.

Les auteures (1) partent d'un constat : au fil du temps depuis les années 1960 (2), "ce sont désormais les artistes et leur démarche que le monde et le marché de l'art évaluent, bien au-delà du produit fini que représentent leurs créations parfois éphémères" et "ce ne sont plus des normes esthétiques établies qui sont au coeur des processus d'évaluation économique et artistique, mais l'ensemble des acteurs du monde de l'art (galeristes, collectionneurs, critiques, artistes, administrateurs, conservateurs, commissaires, etc.). L'essor du marché de l'art a ainsi rendu plus complexe le lien entre valeur marchande et valeur artistique, et le décrochage entre ces deux valeurs semble être l'une des nouvelles caractéristiques de l'art contemporain".

Alors, c'est simple, ce constat décrit une situation qui porte un nom dans l'histoire des sciences : l'anthropocentrisme. Cette vision du monde initiée par Aristote, qui considère l'homme comme le centre de l'univers a dû attendre l'époque de Galilée, Copernic, Tycho Brahe et autres lumières des époques lointaines pour être balayée par la démonstration que la Terre n'est pas au centre de l'univers et que par conséquent l'homme ne l'est pas non plus...

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