By Art by Maarika |
C'est dire si, à l'échelle de l'humanité et de sa
population de l'époque, l'affaire est entendue : l'art est (et restera)
omniprésent.
Depuis le fin fond des âges, nous avons utilisé
l'expression des formes, des couleurs et des sons pour traduire l'univers qui
nous entoure, de ses aspects les plus bruts aux plus sensibles et nos liens
avec cet univers. Cette expression, lorsqu'elle est harmonieusement
transcrite, nous fait vibrer, secoue et interpelle l'âme, bref, place
notre esprit au diapason de l'univers.
Platon, premier à exprimer formellement une pensée
sur la musique, posait déjà les choses il y a quelques millénaires (2) :
La musique est une
loi morale,
elle donne une âme à
nos cœurs,
des ailes à la
pensée,
un essor à
l'imagination.
Elle est un charme à
la tristesse,
à la gaieté, à la
vie, à toute chose.
Elle est l'essence du
temps et s'élève à tout ce qui est de forme invisible,
mais cependant
éblouissant et passionnément éternelle….
Nul
doute que l'on peut étendre ces mots à toute forme d'art.
En
théorie.
Car
en pratique l'art au fil du temps s'est laissé prendre dans un filet en
devenant esclave de l'ego (3). Il s'est laissé enchaîner dans la prison du
narcissisme, une prison à plusieurs étages.
L’ego
Étage 1 L'ego de l'artiste
Au début, souvent l'artiste crée parce qu'il est
comme interpellé par l'envie irrépressible et diffuse de créer. Puis, pour peu
que ses premières créations trouvent un bon accueil chez ses concitoyens, il
continue en espérant "pouvoir en vivre". C'est alors qu'il entre dans
l'engrenage de la "vente" d'art et des perversions du marché. Parce
que, selon les règles établies de ce marché, pour vendre, il faut être connu.
Connu et apprécié. Dans l'art contemporain il est même inutile d'être apprécié. Être connu suffit. (Voir le billet Qu'est-ce que l'art contemporain ?).
Pour être connu, il faut se faire connaître. Et
tout est fait pour que l'artiste soit mis en avant plutôt que l'œuvre. Le fait
que la nécessité ou non du fameux "statement" (4) de l'artiste génère
des débats tellement enflammés entre les artistes et avec les galeries montre à
quel point la nécessité de mettre l'artiste (et non ses créations) au centre du
marché est vital pour ce même marché.
Alors si tu lis ces mots, ami artiste, prends le temps de réfléchir à ce qui te pousse à créer. As-tu besoin de reconnaissance ? As-tu quelque chose à te prouver à toi-même ? Trouves-tu dans l'art un moyen d'expression de tes névroses ? L'art est-il pour toi une sorte de drogue qui vise à apaiser tes angoisses ? Est-il une machine à satisfaire ton sens de l'esthétique ? Bref, emprisonnes-tu l'art par ton ego ?
Ou éprouves-tu juste un besoin de créer sans trop
savoir précisément pourquoi ? Pour le plaisir de créer, peut-être ?
Étage 2 L'ego des galeries
Des galeries d'art françaises qui ne prennent même pas la peine de répondre aux envois de portfolios des artistes "non reconnus" -du marché - (sic) à ce directeur de galerie d'art Brésilienne qui se plaint du côté provincial de la place de l'art brésilien par rapport à celle de Londres… L'ego est définitivement roi dans le monde des galeries d'art de ce début du XXIe siècle. D'ailleurs la tendance lourde des vanity galleries qui font fureur dans la zone anglo-saxonne est là pour le rappeler. Il n'y a pas encore de traduction française pour les vanity galleries (on pourrait dire "galeries de vanité"), mais même les expositions parisiennes ont compris à quel point elles pouvaient tirer leur épingle du jeu en "sélectionnant" des artistes qui gagneront le droit (...?) d'exposer lors de l'événement, c'est-à-dire de venir faire le guignol sur un stand pendant 3 jours en payant un droit d'entrée de plus de 1000€ et en prenant en charge toute la logistique de l’opération.
Étage 3 l'ego du marché de l'art
C'est à l'étage du marché de l'art, comme nous l'avons déjà vu (voir les billets Différence entre le monde de l'art et le marché de l'art et Qu'est-ce que l'art contemporain ?) que nous trouvons les signaux les plus emblématiques de cet état de l'art. En imposant des pratiques perverses, le marché de l'art contemporain pousse à son paroxysme la domination de l'ego sur l'art. Des galeries d'art qui font elles-mêmes monter les enchères de leurs "poulains" lors des ventes aux enchères en est un exemple. Le fait que les procès et autres enquêtes des brigades financières soient aussi nombreux en est un autre exemple. Le fait, enfin, que le marché de l'art soit devenu à un certain niveau purement spéculatif en est l'émanation la plus évidente.
En bref, c'est assez simple. À tous les étages, il suffit de voir qui est mis en avant dans les expositions : l'œuvre ou l’artiste ? Qui est coté sur le marché : l'œuvre ou l'artiste ? Qu'est-ce qui fait le prix d'une œuvre : la cote de l'artiste ou l'œuvre elle-même ? Etc.
Mais au final, en quoi le fait que l'art reste dans
les filets de l'ego est-il délétère ?
Parce que ça pose un problème à plusieurs
dimensions.
1) L'ego prime dans les œuvres produites (à
profusion), au point que submergés par la pléthore d’informations, on ne distingue
plus le subtil du brut ou l'art reflétant la névrose de celui traduisant une
harmonie inspirée.
2) Cela pervertit le marché de l'art et alimente à la fois
les dérives de l'art contemporain et celles de l'art en général (6).
3) L'énergie projetée par ces objets produits de
l'ego n’a qu’un piètre intérêt et nous éloigne d’une connexion bien plus
écologique d’un art tout court : « L’art est une activité humaine, le
produit de cette activité, ou l’idée que l’on s’en fait s’adressant
délibérément aux sens, aux émotions, à l’intellect et aux intuitions. On peut
dire que l’art est le propre de l’homme, et que cette activité n’a pas de
fonction clairement définie. »
(Définition Wikipedia).
C’est pourquoi il est grand temps de lancer des
impulsions vers un mouvement de libération de l’art. Libération de l’ego,
libération du joug d’un marché sans âme (spéculatif). Impulser ce mouvement,
c’est impulser une vague de fraîcheur sur la créativité, mettre en lumière les
innombrables sources de créations méconnues à travers la planète, faire vivre
un art qui participe en toute simplicité à la grande symphonie de l'Univers.
(1) Aux origines de l'art, 50000 ans d'art
préhistorique et tribal. Emmanuel Anati.
(2)
Platon, dans La République vers 400 av. JC.
(3)
Après avoir été pendant des siècles celui des dogmes religieux.
(4)
le statement de l'artiste est un peu son credo, son verbatim, il doit exprimer
(si possible longuement -des fois que l'artiste n'ait pas assez réfléchi à son
art !-) ce qu'il veut traduire par ses créations, l'essence de son travail (ben
voyons), le sérieux de son approche.
(5)
voir le livre Les stars de l'art contemporain, Alain Quemin, CNRS Editions.
(6)
Voir les livres L'art caché, Aude de Queros et Le goût des autres, de l'exposition coloniale aux artspremiers. Benoît de l'Estoile.